Je descend du rocher sur lequel je me faisais baigner par la chaleur du soleil— ma peau ouverte, poreuse, prête à se faire mouiller par l’eau froide de la rivière. Je descend lentement. Je porte une chemise bleu jean ouverte sur la poitrine et un short de sport noir. Je me sens léger et sensuel. Le duvet de mon torse se noircit depuis quelques temps et j’ai de nouveaux poils sur le haut des cuisses. Je les caresse tout en descendant le sentier, les pieds nus et souples sur la terre ferme.

J’arrive à l’endroit où je comptais me baigner. Il y a une silhouette au loin de l’autre côté de la rive. Je comprends que c’est un homme avec un chapeau couvrant en train d’installer une tente juste au dessus de la rivière. Je suis gêné. J’avais l’intention de me baigner nu mais si je le fais à cet endroit c’est bizarre. Agacé de le voir s’installer en plein milieu, là où d’habitude les gens viennent se baigner. Je remonte le cours de la rivière sur un autre sentier, cherchant un autre endroit mais il y a un groupe de gens un peu plus haut. Ils sont habillés et prennent des photos avec leurs téléphones. Des touristes.

Je passe un temps à contempler les bords de la rivière malgré tout, un peu excité par certains souvenirs de chaudes après-midi où on pouvait se masturber tout près des rives avec mon amoureuse. Il y a toujours cet arbre mort qui traverse la rivière dont une partie proéminante me fait penser à un godemiché. S’il n’y avait personne, je me le serais bien mis dans la chatte.


Je reviens sur mes pas, lentement. Je regarde la tente qui vient d’être montée. Je me demande s’il est seul. Je vois que la tente bouge un peu. Derrière, un peu plus loin, il y a un homme qui médite en tailleur. Je ne veux pas le déranger.


J’avance. La tente est fermée ou presque et je me dis que s’il ne voulait pas être dérangé par des baigneurses il n’avait qu’à pas se mettre là. L’ exhibitionniste en moi aime cette situation, je crois. La possibilité qu’il me voit. Je pense un instant à une discussion que j’ai eu avec une femme polonaise de soixante ans habitant dans la région qui me disait ne jamais se baigner nue quand elle allait à la rivière bien qu’elle en ai envie car elle avait peur qu’on l’agresse et je me souviens avoir pensé, non sans empathie, que je ne voyais pas pourquoi elle serait plus en danger nue que toute habillée, tout simplement parce qu’elle est une femme seule. C’est en tout cas cette peur là, être identifié·e comme une femme seule dans les bois que je reconnais pour moi-même.


Je me place devant une branche de bois morte bloquée dans la rivière entre quelques pierres lisses et je pose ma chemise dessus. Pause.
Encore un peu d’hésitation. Malgré tout l’envie folle de me baigner à la vue de ces tâches de soleil sur la surface de l’eau. Je me projette déjà dedans, nu, enveloppé par le soleil dans l’eau presque gelée.
J’ai un string sous mon short. Si l’idée est de ne pas apparaître comme un être sexuel pendant la baignade, alors en tout logique je ne peux pas non plus me baigner en string, là, en face de cette tente.
C’est tout nu ou rien.


J’enlève doucement mon short et mon string en jetant un coup d’oeil à la tente. Il est 16h, c’est peut-être qu’il se couche tôt. Peut-être que l’homme à la tente vient de faire une longue randonnée et qu’il l’a posé seulement pour se reposer avant de repartir.

Est-ce que je veux qu’il me regarde ou est-ce que je veux me baigner seul sans que mes gestes puissent être interprétés par un homme blanc d’âge moyen ou ce qui du moins semble l’être.

J’avance dans l’eau, lui dans mon dos. C’est très froid, je sens les muscles de mon corps se rétracter, je me sens frêle. J’avance vers la tâche de lumière et je viens m’immerger. Je reste à découvert un instant, l’eau est peu profonde, elle m’arrive jusqu’aux genoux.

Je vais de rocher en rocher, essayant de ne pas m’inquiéter, de simplement profiter des changements de températures, du plaisir d’être nu, de l’ambiguïté qui fait partie de l’expérience. Est-ce que je sais ce que je fais ? Non.
J’avance de plus en plus loin de mes vêtements et je trouve un peu de profondeur ou m’immerger. Mon coeur bat vite. 
Je me retourne et je vois que la tente est entrouverte. J’aperçois sa position, bras derrière la tête. Il dort ? 
Je ne me laisse pas le temps de regarder et continue de chercher des endroits ou m’enfoncer plus profond dans l’eau presque transparente, conscient de la charge érotique que ma présence peu transporter.


Je me suis assez baigné, j’ai un peu trop froid et je ne me sens pas à l’aise. Je remonte le cours pour trouver mes vêtements. Arrivé sur la pierre où j’ai laissé mes vêtement, j’enfile ma chemise doucement. Je le sais, mes fesses lui font face, à peine couvertes par le tissu. Ma tête pivote au moment ou j’ai récupéré ma chemise. Je vois une moitié de visage qui se tient derrière la porte de la tente, un peu plus de peau derrière. Je me retourne, je n’ai pas le temps d’interpréter le geste que j’ai aperçu.
Avant cette image ou après je ne sais plus, je mets mon string, lentement, en pensant que si effectivement il regarde, il doit être en train de se branler.


J’enfile mon short. Je dois avoir une autre dégaine maintenant. Plus androgyne. Je commence à partir complètement dos à la rivière et donc à la tente. Juste mes vêtements et moi, pas d’autres affaires, la maison est tout près. Quand j’entame le virage qui remonte la forêt et qui me replace de profil je tourne la tête avec l’intention de regarder cette fois clairement ce qu’il se passe. Il est sur la tranche de son corps, entièrement nu et il se branle, bassin exposé, le nombril pointant vers moi, ventre lâché, et il me regarde fixement en agitant la main. Je lui adresse un regard d’une demi seconde et je me retourne aussitôt. Respire. Je me retourne encore une fois, sans altérer le rythme de la marche. Cette fois je le regarde et ça veut dire « je t’ai vu et je sais ce que tu fais ». Je pars.


Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Comment est-ce que je me sens ? 
Excité·e, sexy, confirmé·e dans mon désir pervers mais aussi gêné·e. Je me dis que l’ai eu mon moment exhib, comme sur les plages gays que je convoitais. Ces plages que mon désir trans*pédé envisage timidement. Est-ce que cet homme me désire comme on désire un autre homme ? Est-ce qu’il désire mon anus, mes fesses, mon dicklit ?
Une pensée me vient à l’esprit alors que je me détache lentement de l’endroit de la scène : Je devrais traverser la rivière et aller lui dire que s’il veut coucher avec moi c’est deux cent balles. Prendre partie du trouble.

Je suis déjà un peu haut, je ne ferais pas retour en arrière.
Elle est merveilleuse, cette forêt.
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